Causses toujours (4 & 5 & fin).

Jour 4. Prudence étant souvent mère de sagesse, j’optais pour la route pour sortir des gorges du Trévezel plutôt que la piste à l’entame spectaculairement peu engageante, en dépit de l’ombre. Il était 9 heures mais il faisait déjà chaud et les courbes de niveau avaient l’air moins sévère par la route. Au sommet, j’allais chercher une piste puis un très beau sentier, technique, cassant par endroits pour rejoindre la vallée suivante et Nant où je prenais un café un peu avant midi. Là encore, en repartant, j’optais pour la route (pour soulager mon cul) afin de gagner le plateau du Larzac.

Les gorges du Trévezel.

La montée m’a semblé interminable mais elle m’a ensuite permis de me rapprocher de La Couvertoirade par des pistes et des sentiers sympas à rouler sous la chaleur. Le vent de face me faisait de toute façon penser à autre chose tout comme la désolation causée par la pyrale du buis qui, par endroits, défonce tout et fait disparaître toute trace verte de l’horizon de cette mi-août.

Dans la petite cité ultra-touristique de La Couvertoirade, je faisais le plein d’eau et prenais une décision. Je rejoindrai le Caylar par la départementale plutôt que par la trace qui m’infligeait 3 ou 4 kilomètres de plus. Et je commençais de réfléchir à l’option suivante, ne pas m’arrêter au Caylar et aller jusqu’à Ceilhes où je trouverai plus d’ombre que sur le plateau, de l’eau, un hôtel ou un camping… Le temps d’une bière au Caylar dans un rade de bord de route qui ne dépaillerait pas dans un bouquin de Kerouac j’enquillais la suite, il restait une douzaine de bornes et assez peu de dénivelé positif.

Par chance, l’hôtel me rappelait pour me confirmer qu’il y avait une chambre de libre, c’était mon jour de chance. Il n’y avait plus qu’à se laisser glisser, quitter le Larzac et basculer sur les hauteurs du Haut-Languedoc pour profiter d’une nuit dans un lit (charmante étape que le relais de Ceilhes, (ancienne étape de diligence, qui de plus indiqué pour moi ?), tant pour le confort que la délicatesse de la cuisine !) et ne pas avoir à se lever aux aurores le lendemain pour attraper le train de 12 heures 34 à Bédarieux qui signerait le début du retour au quotidien.

Jour 5. Comme j’avais pris de l’avance sur le programme au jour 3 et 4, il ne me restait plus ce matin-là qu’une trentaine de bornes à couvrir pour rejoindre la gare de Bédarieux, dont un petit col à gravir par la route, une pérégrination en crête sur des pistes et une descente finale dans un joli sentier ressemblant drôlement à ceux que nous parcourront habituellement autour de la maison. L’affaire était rapidement pliée. Parti un peu avant 9 heures, j’arrivais à la gare un peu avant 11 heures 30. Ça laissait le temps de se poser, de commencer de rembobiner ce joli film et de charger mon téléphone. De faire aussi la liste des choses que j’avais apprises. La première c’est que j’étais capable de faire ça en solo, rouler plus de 300 bornes et accumuler plus de 5 000 m de dénivelé. C’était la première fois que je roulais 5 jours d’affilée et sans ma négligence du premier jour, je n’aurais probablement eu que la fatigue à gérer au lieu de la douleur au cul. La seconde c’est que toutes les expériences précédentes ont servi même s’il y a encore des points à améliorer question bagagerie, charge du vélo et du bonhomme. La troisième c’est que la meilleure idée que j’ai pu avoir c’est d’acheter 10 sangles de 40 cm avant de partir (au cas où je doive démonter le vélo pour monter dans le train), elles m’ont servi à consolider l’arrimage des bagages, de la tente. La quatrième c’est que glisser des affaires sous les sangles n’est pas et de loin une garantie de les amener à bon port, adieu tong qui t’est fait la belle dans la descente endiablée vers Trèves.

Pas loin de mon état à ce stade de la trace !

J’espère que quelqu’un la descendra pour la mettre à la poubelle. La cinquième c’est que j’ai beaucoup aimé cela. Le fait de ne dépendre que de soi. Le fait de rouler à son propre rythme sans se soucier des étapes où d’une heure à respecter pour terminer la journée, de pouvoir s’arrêter pour faire des photos, regarder le paysage, profiter de l’instant, d’avoir la liberté de déroger au programme que j’avais prévu. Et puis j’ai eu le temps de penser, de regarder, de disséquer ce quoi me tombait sous les yeux et aux mots dispensés par Sylvain Tesson dans son livre Les chemins noirs. J’avoue, la ratiocination un peu pédante dont il enveloppe cette très belle histoire de résurrection, m’a rendu la lecture pénible.

Où et quand ?

Parce qu’au final, il ne décrit, sous couvert d’histoire en décrivant les paysages qu’il traverse, que le fantasme qu’il a de la France, ce qu’il lui plaît d’imaginer qu’elle était. Dans ces paysages parfois austères, je n’ai vu (avec admiration) que la formidable capacité d’adaptation des hommes et des femmes, leur opiniâtreté à mettre en valeur des terroirs et des territoires ingrats et difficiles depuis toujours, leur ingéniosité à les doter de chemins logiques, efficaces, rationnels. POur rejoindre, par exemple, cette parcelle de blé prête à faucher, isolée à un bon quart d’heure de voiture de la première maison du côté de Villeneuve au Chaos de Nîmes le Vieux. C’est une des chances que nous offrent le vélo ou la marche, avoir le temps de lire les paysages, de les interpréter et d’en comprendre les ressorts les plus intimes.

Reste la question. C’est quand qu’on repart ? Enfin, les questions. Et où ?

Les deux épisodes précédents sont ici et ici.

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