Je me suis trompé.

À la mémoire de Benjamin.

On se demande, je me demande parfois pourquoi je fais tout cela. Ces heures passées sur le vélo même quand ça fait chier, même quand il fait froid, même quand la tramontane beugle dans la jugulaire du casque, même quand il pleut. Ah, non, pas quand il pleut, faut pas déconner. Je me demande parfois pourquoi ces kilomètres, ces heures, sur ces sentiers connus par cœur où je tutoie chacun des cailloux à force de les croiser. Pour la compagnie me direz-vous. Pas faux. C’est important la bonne compagnie. On voit les copains, on bavarde, on déconne, on fait les braves, on oublie le reste deux heures durant, on suspend le temps, on se chatouille l’adrénaline, on parle de l’après. Du futur. Le futur, c’est justement ce qui nous fait rouler même quand il fait froid. Le futur, ce sont ces sorties, ces projets qu’on échafaude pour plus tard, qui vont mûrir à l’abri de l’hiver dans nos esprits féconds (et parfois très cons). Ces projets pour le printemps, l’été, l’automne qui viennent, ou l’année d’après, nous savons que nous avons le temps tout en sachant que tout peut s’arrêter demain, brutalement, par faute de pas de chance. Et tant pis si nous n’aurons pas tout fait, nous arrivons à des âges où la modestie s’impose. 

Ces projets, ce sont les sorties sur plusieurs jours, ou celles à la journée, en montagne, où, en plus de l’adrénaline, nous mettons à l’épreuve un peu plus de nous. Notre condition physique (celle entretenue l’hiver quand il fait froid), notre mental quand nous avons dépassé les limites de ce que notre dilettantisme nous autorise. Il y en a quelques unes que nous avons accrochées à notre plastron de fanfaron. Elles sont pour partie sur le blog, pour d’autres sur Ride-In-Pyrénées. Plus celle que je n’ai pas racontées.

Mais surtout, au final, ce qui reste de ces souvenirs, ce ne sont ni la difficulté ni l’adrénaline mais les paysages, la camaraderie, le partage et ce sentiment un peu fou de liberté loin du corset de nos quotidiens. 

Le partage c’est avec les amis de toujours, quand on souffre ensemble on devient vite amis de toujours, ou avec les amis de passage parce qu’ils ne sont pas dans le coin et qu’on ne se croise que de loin en loin. Comme avec toi. Alors je me souviens de t’avoir emmené du côté de Saint-Pierre del Forcats par un bout de train jaune, il y a longtemps. Nous avions roulé, toi devant, forcément, jusqu’aux bains de Saint-Thomas, puis avions grimpé jusqu’à la cabane de l’Orri. Nous nous étions engagés plus loin sur ce sentier pourri vers la frontière. En poussant joyeusement le vélo sur quelques centaines de mètre dans ce capharnaüm de pierres et de racines avant de renoncer. Nous disant que cela ne servait à rien de poursuivre, que nous porterions aussi à la descente. Si j’avais su. En fait, un peu plus loin c’est très beau. Mais nous avions trouvé ce bar improbable à Fontpédrouse après être passé trois ou quatre fois devant sans le voir, avant de reprendre le train.

Je me souviens aussi que nous avions roulé ensemble avec Sébastien, ton beau-frère, quelque part dans les replis intimes et sauvage du Conflent. Je me souviens aussi que je t’avais montré ce que je considère comme l’un des plus beaux sentier du département, il est au moins dans mon top trois. C’était une vraie journée de partage, avec Carlos, venu des Açores, et Philippe, de la plaine. Nous étions grimpés jusqu’à Pla Guillem par la piste de Mantet, tu avais regardé la tige de selle de Carlos qui restait en position haute, puis nous avions enquillé le chemin de Lipodère jusqu’au Randé, étions remontés jusqu’à Mariailles pour aller chercher le sentier de Botifare donc, que je voulais te montrer. Pour un vététiste comme moi, partager ses sentiers c’est comme partager un coin à champignons… C’était de belles journées, nous avons bavardé, parlé de vélo, de sentiers, de montagne, de nos enfants, j’en ai quatre aussi, d’aventures, de gourmandises… Une journée de bonne humeur où, comme tout le temps, tu profitais du bonheur simple d’être là, de profiter de l’instant. Condition indispensable à la bonne compagnie.

Puis tu avais d’autres coins à découvrir à vélo, moi d’autres choses à faire aussi, on a moins roulé ensemble.

Alors quand tu es passé cet été à la maison pour me dire que tu arrivais dans le secteur avec ta smala, en en parlé de tout ça et je t’ai remis dans la boucle des conneries pour 2023. Des bivouacs, des idioties, le programme n’était pas calé mais nous t’aurions emmené avec plaisir.

Et puis je me souviens de notre rencontre. C’était une Transbiking, sur ce très beau sentier au dessus d’Estoher quand tu as failli prendre à droite quand l’épingle plongeait à gauche. Moi j’étais en face pour faire les photos (d’où le GIF au début de l’article). Et ton rétablissement spectaculaire et talentueux dans le (bon) sens du sentier m’avait fait dire, « ce type là, il ne peut rien lui arriver. » Ce fameux maillot posé sur ton cercueil, ce triste et froid lundi matin de novembre, m’a confirmé que je m’étais malheureusement trompé.

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