Les hommes vivent moins longtemps. Parce que.

On dit souvent en blaguant que les hommes vivent moins longtemps que les femmes, parce que.

Nico et moi avons voulu conforter cette idée dans le courant de cet été. Puisque j’avais amené Nico jusqu’à En Beys, il fallait donc qu’il se venge et j’étais comme l’agneau expiatoire en attente de la sentence. « On va aller dans la vallée de l’Orri en passant par le col Mitja et la Carança » dit-il. « Tu sais que c’est très con ? » ai-je alors répondu connaissant l’endroit et entrevoyant le chantier… « Oui, mais je veux le faire depuis longtemps et t’as promis… » Comment se défiler ?

Il n’y a pas beaucoup de vélos à passer par là. Et pour cause !

Nous voilà dès potron-minet un très beau matin d’été, sur le coup de 6 heures 30, en train de préparer les vélos, sangler les sacs et enfourcher nos montures pour un petit échauffement. + 1000 mètres pour rejoindre le col Mitja. La piste permet de ne pas se mettre dans le rouge au départ, puis passé le réservoir, ça pique un peu, il faut pousser parfois parce que c’est trop raide, puis, parce qu’on est cons, on peut aussi se tromper de trace et se retrouver à porter droit dans le pentu par le sentier pour rejoindre la piste manquée et ne pas faire demi-tour.

Le soleil vient jouer dans les herbes au col, c’est beau, on ne dirait pas un Rembrandt mais ça a de la gueule. Donc là, déjà, on a bien tapé dans la caisse pour arriver, +1000 mètres, et on perd tout de suite 600 mètres de dénivelé pour rejoindre le refuge de la Carança.

Afin qu’enfin commencent les choses sérieuses. Parce que de là jusqu’au sommet de la trace, comment dire, c’est du vrai sérieux, même les polonaises n’en prennent pas au petit-déjeuner. Ça roule pas beaucoup pendant longtemps et pas du tout le reste du temps. Alors on prend son mal en patience, on fait le gros dos, ça va à peu près jusqu’au premier lac. C’est après que ça se corse. Ça fait juste six heures qu’on est dans le chantier, au moins je ne sais plus.

On casse la croûte au bord du lac, il y a des marcheurs, des traileurs, il fait beau, c’est déjà ça. Ensuite, il faut enquiller le plus difficile, rejoindre le Col de la Vaca, sortir de la vallée de la Carança par le haut à défaut de l’avoir haute, la tête. Et là, comment dire. C’est raide. Inutile de lever les yeux, tu ne distingues pas la trace entre les blocs, tu te souviens juste qu’il faut passer le deuxième lac et c’est déjà une tannée, puis le troisième, nouvelle couche, puis atteindre la crête par un raidard qui fait passer le mur de Huy pour une vaguelette. Inutile de dire que depuis trois ou quatre heures on n’a pas donné un seul coup de pédale !

Sur la crête il faut encore marcher un peu, on est rincés, secs, secs, comme le hareng saur de Charles Cros, pour arriver jusqu’aux sinistres neuf croix. Puis ça roule, le sentier est beau, propre, ondule doucement sur la crête comme la caresse de la brise d’été sur la peau un jour de grande chaleur. On en profite à plein malgré le vent. Pressé de descendre Nico rate le bon sentier pour rejoindre le col de Nou Fonts et on s’engage dans un merdier qui fait craindre, parfois, pour les dents. À Nou Fonts, on vise le col d’en Bernat. C’est un peu en dévers mais ça roule, roule bien. On pousse un poil encore pour arriver au col puis c’est la bascule tant rêvée, celle qui nous a fait avancer jusque-là (enfin, bon, on n’avait pas trop le choix non plus alors, on n’allait pas faire demi-tour ! ).

<3

Je laisse Nico partir devant pour faire quelques photos et c’est mon tour de me laisser glisser. Le sentier est propre, propose parfois quelques défis techniques, mais rien de dangereux. Nous laissons le lac sur notre gauche pour plonger plus avant dans la vallée de l’Orri, jusqu’à la forêt. Là, franchement, je suis fatigué, j’ai mal un peu partout. Le sentier devient impraticable sur quelques dizaines de mètres, ensuite ça roule, il faudrait juste avoir un peu plus de jus pour ne pas subir complètement.

Au refuge, on chope la piste. Je me demande si, dans mon état, il ne vaudrait pas mieux rester justement sur la piste plutôt que de m’achever par le dernier bout de sentier (on l’appelle le »marteau piqueur ») après le réservoir et qui tabasse sa race. Mais il est beau. Et il n’est pas sûr que je sois moins secoué sur la piste avec la vitesse.

Alors bon, au moins il n’y aura rien à regretter. Feu. Puis c’est la voiture. Après 11 heures de putain de chantier. Alors c’est clair, on ne le refera pas. Mais on est contents de l’avoir fait. Hein Nico ? Et on n’est pas morts !

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