Le lendemain, il faisait frais au pied de Saint-Véran. Didier et moi partons avant les deux autres zozos, bien plus rapides que nous. Il est un peu plus de 8 heures quand nous décollons et quittons la trace pour monter à Saint-Véran par la route, histoire de se ménager au pied de la plus grosse journée du séjour, environ 45 km et 1600 mètres de dénivelé avec deux points hauts à plus de 2 800 m. C’est plus haut que le Canigó.
Quelques passages difficiles ponctuent ce début de matinée, on pousse parfois. Puis le canal. À plat. Qui nous conduit jusqu’au fond de la vallée. Deuxième fracture, il n’y a plus de rétine disponible. Didier regarde le col où il est prévu que nous sortions (mais en fait, il ne le sait pas mais on ne peut pas le voir tellement c’est loin, et haut). Damien et e-Didier nous rattrapent, déjà, alors qu’on ne s’est pas ménagés, et le single se fait pente, abrupte parfois. Le cœur bat la chamade comme au temps d’un premier baiser. Puis, vers 2 600 mètres d’altitude, c’est la trahison. Au milieu de ces fantastiques paysages, la trace se fait monstre. Le soleil a dégelé le sol. On est en fin de matinée le sol ne porte plus, pire même, il s’agglutine sur les pneus, tente de nous retenir, de nous empêcher de progresser. Même pousser le vélo devient pénible. Et pourtant, s’il y a bien un sujet sur lequel on est compétent, c’est celui-là… Alors nous poussons, nous glissons, reculons, avançons. Damien et e-Didier disparaissent vite devant, Didier et moi ne le verrons plus de presque deux heures. Le temps qu’il nous faudra (peut-être un peu moins, je ne sais plus trop) pour couvrir ces deux kilomètres et déboucher au col de Chamoussière… Épuisés. Et vite frigorifiés. Tiens, de quoi penser à Purcell, au Roi Arthur, dans nos loques de pauvres héros défaits par la difficulté et d’espérer en l’amour pour nous réchauffer.
Mais ce n’était pas terminé. Il y avait encore un col à passer, de l’autre côté de la vallée. Mais avant, sinon ce n’est pas drôle, il faut descendre. Damien nous fait miroiter la perspective d’un café chaud au refuge du col d’Agnel, alors nous filons. Le sentier est farci de schiste, c’est trempé, le dégel encore sauf dans les endroits à l’ombre, ça glisse, on descend en serrant les fesses jusqu’au refuge pour ne pas s’en coller une. Il y a du gaz sur main gauche et on n’a pas envie de débouler 100 mètres plus dans les ardoises !
Au refuge, c’est pas de bol. C’est jour de mariage. Et le pas de bol, c’est que ce sont les gardiens du refuge qui se marient et doivent filer à la mairie, là-bas, dans la vallée. Tant pis, nous reprenons la route pour attaquer l’ascension du Col Vieux, quasi aussi haut que celui auquel nous tournons maintenant le dos… Et là vous savez quoi ? La boue, le sentier, l’altitude, il faut encore pousser. Damien et e-Didier font le chemin en tête et se caillent encore un moment au col en nous attendant. Une photo et on file. La vallée nous tend ses bras grands ouverts et la descente est magique. Le sentier alterne les hectomètres roulants où l’on peut débouler à pleine vitesse, se laisser porter par le flow et l’ivresse du plaisir et les sections plus rugueuses (euphémisme en semi-rigide) où chaque muscle est mobilisé en plus du peu de science du pilotage dont Didier et moi sommes porteurs. Sans parler de la fatigue qui vient ajouter une petite mais bien sensible couche de difficulté dans ces passages tendus et les défis mis sous nos roues. Mais que diable, on ne fait d’omelette sans casser des œufs et c’est la facture à régler pour arriver en bas fracassés et fourbus mais tellement heureux.
Cette descente, dite des lacs, est une des plus belles que j’ai roulées et accrochées, comme je le disais l’autre jour à mon plastron de fanfaron. J’ai roulé très égoïstement au long de cette heure ou cette heure et demie de cavalcade sans vraiment avoir envie de m’arrêter quand Damien et e-Didier faisaient une pause pour nous attendre. Parce qu’en dépit de la fatigue rien ou presque de ce qu’elle mettait sous mes roues ne me semblait insurmontable et que j’en paraissais plus grand, plus fort ? Et quand il n’y en avait plus, Damien nous annonçait la vallée tous les 500 mètre, il y en avait encore pour pousser plus loin dans les recoins.
En plus, l’ami Franck nous attend au débouché du chemin pour passer la soirée avec nous à Aiguilles. Il est 17 heures passées, nous aurons passé par loin de huit heures sur le vélo quand Damien, pour nous éviter un ultime coup de cul, nous engageait dans un éboulis costaud et un dernier portage qui perdra les deux Didier. Nous étions refaits. Mais heureux.
Alors ce soir là, il fallait bien l’accueil de Yak Avenir pour nous requinquer. Ne changez rien c’était parfait, le couchage, le dîner, l’accueil, la convivialité ! Et si jamais vous passez dans les Pyrénées-Orientales, faites signe, on sera ravi de vous conduire dans les terroirs les plus secrets du coin !
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