24 heures chrono. (Un Canigó sinon rien).

L’idée de départ n’est pas de moi, je tiens à le préciser, mais elle est belle. Aller toquer au sommet du Canigo en hiver.

Alors, le Canigo, c’est un peu notre jardin ici, 2 780 mètres et des poussières, il impose sa masse au-dessus de la plaine du Roussillon. Il suffit de tourner le regard vers l’ouest pour le voir. En été, le Canigo se grimpe en deux jours pour des randonneurs un peu entraînés, avec une nuit en refuge ou en bivouac selon les préférences de chacun. À la journée, depuis la fermeture des accès autour de 1 000 mètres d’altitude, ça fait une sacrée somme. Et une longue journée. En hiver, ce n’est plus vraiment de la randonnée, il faut avoir quelques connaissances du milieu montagnard hivernal et être un peu équipé. L’idée qui trotte dans la tête de Didier c’est donc de monter au Canigo en hiver et d’en faire la descente à ski depuis le sommet. Double effet kiss cool en somme. Et on peut rajouter le troisième effet cool, celui de décider de le faire en deux jours (après une tentative à la journée avortée juste après le départ la semaine précédente), donc de dormir dans un refuge pour faire l’ascension finale au petit matin. Et de profiter de la neige dure. On est quand même presque à la mi-mars et le printemps a tapissé la plaine de rose et de blanc avec la floraison des vergers d’arbres fruitiers.

Donc voilà le cadre. Pour l’approche, nous optons pour le vélo, notre dada habituel. Alors oui on va en chier à la montée parce qu’on sera chargés comme des mules avec la bouffe, le couchage, les raquettes, les crampons et plein de trucs utiles, c’est l’Anglais de service, Simon, qui monte le cubi d’antigel, mais au moins à la descente, on ne se flinguera pas les genoux, en plus de gagner un temps de fou. #Astuce

Plus libres de leur emploi du temps ce mercredi, Didier et Simon décollent du parking à 1 000 m en fin de matinée pour arriver au refuge avant la nuit. Le refuge, c’est une cabane de quatre places, à 2 000 mètres, que nous avons choisie en nous disant qu’on pourrait faire du feu (j’avais vérifié sur refuges.org) et qu’à quatre en plus de la cheminée, nous n’aurions peut-être pas trop froid la nuit. Pour Marie et moi, seconde moitié du quatuor, nous finissons notre journée de travail avant de prendre la fille de l’air sur le coup de 15 heures 30.

On ne va pas se mentir, quand on donne les premiers coups de pédale, on se demande ce qu’on fout là. Le sac scie le dos, il est encombrant, le vélo est lourd, je ne sais pas combien, peut-être 18 ou 19 kg contre 14 en temps normal ? Il embarque le couchage, le piolet, l’eau. Dans le sac il y a la bouffe et le pain, des fringues, sur le sac les raquettes et les crampons… Et devant nous, une bagatelle. Autour de 11 kilomètres et 1 000 mètres de dénivelé. C’est ce qu’on appelle dans notre jargon « un truc de bâtard », une « boucherie », et là où on n’est pas bien dans nos têtes, c’est qu’on la connaît bien cette piste des Cortalets, ses rampes infernales entre l’escale de l’ours et le tunnel, puis après le refuge de Balatg. Aujourd’hui en plus il y aura la neige mais sans qu’on sache à partir de quelle altitude… Bref. C’est le moment de tricoter sa patience, tu mets le nez sur le cintre, tu regardes ta roue, tu penses à ce que tu veux mais surtout pas à ce qu’il y a devant toi. Tout juste peux-tu te souvenir de géographie et des leçons sur l’étagement de la végétation en montagne.

Sur cette piste des Cortalets, il faut un moment pour que la forêt méditerranéenne laisse la place à la forêt de montagne proprement dite, mais la végétation évolue selon l’exposition. Vers 1 400 mètres, au bout d’une heure de grimpette, la lumière du printemps joue entre les résineux, il fait chaud, enfin, on a chaud, avant de basculer dans la vallée qui nous conduira vers le sommet. C’est une espèce de ventre froid, toujours à l’ombre ou presque, orienté au nord-est. En deux heures nous atteignons le refuge de Balatg à 1 600 mètres et des poussières en même temps que nous touchons la neige. C’est à l’ombre. Et ça caille. Mais la source coule, parfait pour refaire le plein d’eau avant d’attaquer la seconde partie du chantier. Il reste alors 400 mètres de dénivelé et peut-être trois kilomètres.

La neige conjuguée au mauvais état de la piste et à la pente rend la progression difficile, j’alterne roulage poussage jusqu’au départ de l’ancienne piste des Cortalets que nous allons emprunter pour shunter le col des Voltes qui n’a pas d’intérêt pour nous aujourd’hui. Le début de cette ancienne piste me permet de remonter sur le vélo malgré la neige, la pente est bien moins raide et il y a moins de cailloux. Marie file devant, son vélo électrique lui permet de franchir la neige sans problème. Pour moi c’est plus compliqué. Mon pneu arrière est peu cramponné, je perds vite l’adhérence et ça bouffe une énergie folle. J’ai fini par poser pied à terre au bout de la deuxième ou troisième épingle, je ne sais plus vraiment. Et j’ai continué l’ascension en marchant à côté du vélo, en le poussant. Cela permet aussi de conserver un peu de jus pour le lendemain.

Quatre heures après le premier tout de roue nous déboulons au refuge. Didier et Simon avait eu le temps de tout préparer, passer un coup de balai, aller chercher du bois, allumer le feu, c’était assez magique d’arriver dans cette cabane chauffée alors que le froid me mordait les oreilles depuis une paire d’heures (enfin m’aurait si Marie ne m’avait pas prêté un buff parce que je ne savais plus ce que j’avais foutu de mon bonnet). Bref, c’était l’heure de passer à table, on a fait griller la saucisse, le jambon sec, les poivrons, bu un coup, bien rigolé, puis sur le coup de 22 heures, nous nous sommes glissés dans nos duvets pour tenter de roupiller. Le feu crépitait dans la cheminée, c’était presque Noël !

Un semblant de nuit plus tard, nous voici debout, prêts à en découdre. Nous coffrons les vélos dans le refuge rangé, ôtons les axes des roues pour éviter toute surprise puis nous chaussons les raquettes et filons. Il fait très beau et pas froid. Bon les raquettes, ce n’était pas une bonne idée. Très vite nous sommes obligés de changer pour enfiler les crampons. La couche de neige récente, posée sur une semelle rosie par le sable du Sahara, ne tenait guère et nous faisait glisser dans le dévers. C’est là que ça a coincé pour moi. Les raquettes je connais un peu. Mais les crampons je n’avais jamais testé. Et je les avais à la fois mal réglés et n’avais pas compris comment les attacher correctement. Mes trois compères partis devant une fois chaussés, je me débattais pendant une quinzaine de minutes avant, pestant en solitaire, de décider de rebrousser chemin. Si c’était un problème de réglage, un outil pourrait m’aider, mais il était sur mon vélo… Et au pire, si je n’arrivais à rien, je m’occuperais du feu et attendrais au chaud. Mais bizarrement, je m’en suis sorti. J’ai réglé cette fois correctement les crampons et j’ai compris comment les attacher, enfin, comment faire circuler la lanière correctement pour qu’ils restent solidaires de la chaussure. Et je suis reparti, délesté en plus des raquettes. Ok, c’en était fini du sommet, mais il ne serait pas dit que je ne profiterai pas de la matinée. Je me suis mis tranquillement dans les traces de mes amis, profitant du silence, des premiers rayons du soleil pointant au-dessus de la crête…

Au replat, le fond du cirque en fait sous le sommet du Canigou, j’ai aperçu mes compagnons, 200 mètres plus haut qui en terminaient avec le mur qui conduit au Pic Joffre, enfin, ils avaient carrément visé au dessus ! J’avais l’impression qu’ils n’avançaient pas, mais en fait, je n’allais pas tarder à comprendre pourquoi. La pente. C’était drôlement raide. De ces pentes qui te font rentrer dans ta coquille, 30 pas, 15 secondes de repos, 30 pas, 15 secondes de repos. Il m’a fallu 50 minutes pour franchir cette difficulté et déboucher enfin sur la crête qui conduit au sommet. C’était beau, j’avais gagné ma journée !

On y voyait la crête frontière avec son pic du Géant, tout le massif du Carlit à 40 kilomètres de là, le Madres un peu plus près, et Andorre. Magique. Et en bas. Prades. Ne voyant personne, je continuais vers le sommet en profitant de ce moment, la neige était parfois rose des sables du Sahara, parfois glacée, parfois en train de fondre, parfois rose et glacée… Au bout d’un moment j’aperçus une silhouette en train de descendre du sommet. Me disant que mes compagnons n’allaient pas tarder, je renonçais à gravir la dernière bosse avant la pyramide et me posais au soleil pour les attendre. Le vent, soufflant pourtant de secteur sud, donnait un air un peu glacial à l’aventure. En fait, je me suis arrêté en gros à un kilomètre à vol d’oiseau (mais je ne suis pas un oiseau) et deux cents mètres de dénivelé. Assez rapidement mes compagnons sont arrivés, Didier a pu chausser ses skis. Il fallait bien ça pour gommer la peine d’avoir trimballé une paire de skis et les chaussures adéquates pendant toutes ses heures sur son dos ! Et surtout pour passer par dessus la frustration de n’avoir pu atteindre le sommet ! Arrivés au pied de la « pyramide » où trône le sommet, ils ont hésité, hésité, puis renoncé. Les conditions de neige dans la pente raide n’étaient pas bonnes et la crête inspirait autant confiance qu’un vieux cheval arthritique sur le retour. Nous laissant glisser dans la neige nous donc rejoint le refuge. Mangé un petit morceau. Fait sécher nos fringues. Et rempaqueté le tout. À midi, après avoir rangé, nous mettions les voiles. Un peu plus d’une heure après nous étions de retour au parking. Et deux heures après, j’étais rentré chez moi, pile 24 heures après en être parti. Avec deux questions.

Quand est-ce qu’on repart ? Et où est-ce qu’on va ?

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