Vuelta a Los Monegros

Souvent les balades à vélo naissent bien en amont de la décision de partir. Il y a des paysages connus dans d’autres circonstances qui appelle à quelques tours de roues, des souvenirs, des envies, et puis un déclic, on ne sait pas trop pourquoi ni comment. Et le songe devient réalité. C’est ce qui s’est passé pour cette virée dans le désert des Monegros, en Aragon, au nord ouest de Sarragosse. 

Une première grimpette d’un kilomètre à 10 %, rien de tel pour démarrer le voyage !

Je savais à quoi cela ressemblait pour l’avoir arpenté il y a un bail, plus de 15 ans et en d’autres circonstances pour un reportage sur le projet fou de Gran Scala qui prévoyait d’implanter sur ce territoire battu par les éléments un nouveau Las Vegas. Puis pour y être repassé furtivement il y a quelques mois à fins d’un autre reportage plus agricole celui là. Et j’avais envie, après qu’on se soit coltiné le difficile Cami de Cavalls à Minorque, d’une trace un peu plus reposante, roulante, au long de laquelle nous pourrions dérouler les kilomètres sans trop y penser (en ayant à l’esprit que ce pourrait aussi être un terrain de retrouvailles, plus tard, si le coup de pouce du destin veut bien se donner la peine, avec un vieux copain).

J’ai fouillé comme d’habitude les sites de partage de traces, ai fini par poser un truc qui ressemblait à quelque chose, sur trois jours, sans trop de dénivelé et un peu moins de 200 bornes. Le seul truc un peu tendu c’était le premier jour, 60 bornes sans eau mais Philippe y mit son grain de sel et imaginé la solution. 

Bref, la date calée, nous filons le vendredi en fin d’après-midi après le boulot pour arriver à La Almolda sur le coup de 23 heures bien tapées, éreintés de la fatigue de la semaine. Nous repérons un square à l’herbe verte et drue et décidons d’y planter la tente pour roupiller. À vrai dire on s’est bien interrogés sur la qualité de l’herbe, inhabituelle dans ce secteur, mais nous étions fatigués. Nous ne fûmes donc qu’à demi surpris quand l’arrosage s’est déclenché à 2 heures du mat, obligeant Philippe à se réfugier sous un auvent tout proche avec son sursac, Nico à plier sa tente qui se remplissait grâce au sprinkler tout proche et se réfugier dans la voiture. Et moi à espérer que la frêle toile allait tenir le déluge aussi régulier qu’une montre suisse. Curieusement, cela allait se révéler la seule vraie aventure du trip. 

En début de matinée, après cette nuit chaotique, nous décollons donc de La Almora en direction de la Sierra d’Alcubierre dont la traversée sud-nord va nous occuper toute la journée. Et c’est, comment dire, un régal. Nous suivons une piste propre comme un sous neuf sur une crête, avec parfois vue des deux côtés, à perte de vue d’ailleurs sur la dépression de l’Ebre au sud ouest et sur les Monegros à l’est. Nous profitons, enquillons les kilomètres, il ne fait pas si chaud, nous parvenons à gérer l’eau. Et souvent nous nous arrêtons. Au mépris de la moyenne, pour profiter des paysages, faire des photos, bavarder. En fin d’après-midi nous obliquons franchement vers l’ouest pour rejoindre Leciñena, petit bourgade dénichée par Philippe où nous trouverions de l’eau, mais aussi un bar, une supérette Auchan, la fête du village, un square abandonné pour bivouaquer. Et de drôles d’énergumènes déboulant moteur et sono hurlants, sortant les bières et parlant fort. Nous qui goûtions du calme de la soirée… Nous avons fini par prendre langue, enfin, tenter parce que sur les trois deux étaient difficile à suivre, avons partagé des bières et j’ai fini par monter dans une batteuse et, un peu plus tard, nous avons rejoint une cave, sur le coup de 23 h, pour déguster un pur grenache chez un vigneron du coin, qui a la particularité d’être le seul de son secteur au milieu d’un océan de blés… 

Mes deux compères m’avaient  lâchement faussé compagnie. 

Mais dans toute cette histoire, nous ne comprenions pas pourquoi Napoléon les crispait autant, ce nom revenait sans cesse dans la conversation, parce que nous étions français. Il avait, d’après ce que nous comprenions, brûlé les livre du monastère tout proche. Il faudra attendre que nous soyons rentrés pour piger de quoi il retournait. Effectivement; Leciñena fut le lieu d’une bataille épique de la guerre lors du second siège de Sarragosse. Durant laquelle une trentaine de villageois furent massacrés et le livre de l’abbé brûlé. Sans cette rencontre de Quichotte et son Sancho Panza du soir, nous serions passés à côté de cette histoire guerrière. Ne manquait de Rossinante, mais elle était retenue à la fête du village, sur la place et nous avons aussi parlé de Gran Scala dont le souvenir reste tout aussi vif.

Au petit matin, le soleil accompagnait notre départ, il n’allait pas nous lâcher de la journée. Une fois le plein d’eau fait, nous mettions le cap plein ouest pour passer d’une guerre à l’autre, du souvenir cuisant des armées de Napoléon à la guerre civile du côté du col d’Alcubierre. Là où Georges Orwell, l’écrivain anglais engagé sous la bannière du Parti ouvrier d’unification marxiste « POUM », passera de long mois à surveiller une vallée profonde et à échanger avec les fascistes, là bas sur l’autre versant, des tirs sporadiques et violent. Jusqu’à ce qu’il soit blessé et obligé de fuir Barcelone sous la pression des soviétiques. Cette ascension matinale se fait sans grimace, les paysages sont superbes, champs de blé en terrasses, soignées, petites combes à l’ombre, nous progressons avec plaisir. À l’approche du col les vestiges de la guerre sont nombreux, bien identifiés par des panneaux parfois vandalisés par les nostalgiques du Franquisme. Pour rejoindre la tranchée d’Orwell, plus exactement un poste posé en bord de falaise, il nous faut emprunter l’ancienne route que la végétation est en train d’effacer du paysage avec application.  

Puis, les estomacs se rappellent à nous, il faut descendre jusqu’à Alcubierre, innover, suivre un sentier de moutons, passer quelques piquants et rejoindre une piste pour descendre sur le plateau. Nous entrons là dans la plaine agricole, les silos à grain, souvent désaffectés, sont comme des églises dans le paysage. Il fait chaud. Nous déjeunons au restaurant de la piscine, nous accordons une sieste bienvenue à l’ombre des arbres et dans le tapage de la moissonneuse-batteuse à l’œuvre dans le champs d’à côté. Faisons le plein d’eau et repartons pour de longs bouts droits au milieu des blés et des grands élevages de porcs installés là depuis le début de la décennie pour diluer le risque sanitaire. Certains chemins ont disparu sous les champs, le canal de Monegros charrie un flot massif et limpide d’eau des Pyrénées. Le jaune des blés laisse la place au vert de la luzerne, à quelques vergers, l’irrigation est partout, les sprinklers anonnent leur refrain habituel, pschit spchit pschit pschit. 

Quand nous approchons de Sariñena, nous sommes intrigués par la présence de vautours, ils sont des dizaines, certains postés sur la falaise qui nous surplombent, d’autre accrochés aux thermiques dans le ciel… Trop nombreux pour être honnête. Ils attendent leur tour en fait. On ne voit pas ce qui se passe de l’autre côté du bâtiment de l’élevage de porc en contrebas, mais la curée est facile à deviner. Ils sont au travail et doivent nettoyer la carcasse d’un ou plusieurs porcs morts. Un dernier jardinage plus loin, encore un chemin avalé par un champ, de maïs cette fois, et nous voilà au village. Posé en terrasse, nous nous régalons d’une (puis deux puis trois) bière terriblement fraîche servie dans un verre glacé qui fait oublier un peu la morsure du soleil sur les bras. Nous avons la bonne idée de rester à cette table pour dîner. Patatas bravas, saucisse, poulpe à la gallega et tartare de Ternero, tout est parfait. Bien mieux en tout cas qu’un bout de saucisson au milieu de nulle part. Nous repartons avant la tombée de la nuit pour nous installer par défaut dans semblant de square, en surplomb de la lagune du coin pourvoyeuses de moustiques féroces. Et quand le séchoir à luzerne se met en veilleuse de l’autre côté de la route, nous ne tardons pas à nous endormir. 


Au matin du troisième jour, c’est déjà la fin, nous essayons de ne pas trop traîner pour ne pas rentrer trop tard, nous visons midi à la voiture. Déjà les paysages filent, à droite, à gauche, des champs de luzerne irrigués. Plus loin de grands élevages de porcs. Nous raccourcisssons la trace, entrons dans des paysages qui ne dépareilleraient pas en Arizona, doublons le site du festival des Monegros en cours de montage, là encore au milieu de nulle part. On n’ose imaginer la chaleur, ou le bordel s’il vient à pleuvoir sur ces hectares rectifiés au scrapper et comme damés. Ici les « mesas » se font plus vertigineuses, la piste s’élève doucement, comme si elle nous prenait par la main pour nous conduire en un pays secret, se faufile. Philippe nous explique que finalement, l’Arizona et le grand Canyon c’est un peu surfait. Nous nous arrêtons le temps de quelques photos, croisons un tracteur, puis filons de nouveau, changeons de route, dévalons de l’autre côté de la montagne après avoir aperçu de nouveau la grande dépression de l’Ebre, au sud, là où nous retrouverons la voiture, tout à l’heure. La piste se fait bucolique, charmante, comme si elle cherchait à nous retenir, à nous dissuader de mettre un terme à notre petit voyage. Tel Ulysse, nous n’écoutons pas les sirènes, atteignant Castejón de Monegros, y cherchant de l’eau sans en trouver, puis La Almolda. On est à la mi journée. L’heure est au retour. 

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