Alors on ne va pas se mentir, c’était un peu l’inconnu que cette histoire qui me trottait dans la tête depuis des années. Il m’arrive en effet régulièrement de prendre part à des réunions à Toulouse, et puisqu’on peut rejoindre la ville rose en train, qu’en étant un peu malin on peut charger son vélo dans le train, vous avez compris, pourquoi pardi ne pas rentrer à vélo ? Sur le papier c’est une somme, ça fait plus de 200 bornes et y’a pas 46 solutions.

Le canal du midi ? C’est plat, mais c’est chiant, c’est plat mais c’est long, ça fait descendre jusqu’à Homps, Narbonne puis choper la Robine, la plage de La Nouvelle et après c’est un peu la merde. L’idée c’est donc de descendre jusqu’à Bram et de couper ensuite à l’azimut. Ou presque. Pour descendre sur Ille-sur-Têt au prix de quelques bosses. Et donc autour de 200 kilomètres. J’avais prévu trois jours plein, mais des circonstances nouvelles m’imposent d’en finir un peu plus vite que prévu, je dois être à Ille-sur-Têt à 12 heures au plus tard le dimanche. Ce qui nous laisse tout juste 48 heures.
J’embarque l’ami Nico avec moi pour cette aventure, ça va le décalaminer après son accident de l’automne dernier et après il sera en forme pour les projets du reste de l’année. Son pote Michel nous dépose (merci !) à la gare sur le coup de 6 heures du mat, nous montons dans le train direction Toulouse où nosu débarquons un peu avant neuf heures. Le temps d’avaler un petit déjà et nous nous lançons, au milieu des vélos, le long du canal du midi. Ma réunion se trouve organisée non loin du canal à Auzeville. Un petit échauffement d’une dizaine de bornes pour nous rappeler que c’est plat et que bientôt il fera très chaud. Très très chaud. Je laisse Nico à l’ombre le temps de ma réunion, une paire d’heures, il en profite pour finir sa nuit, puis nous reprenons le fil du canal du midi sur le coup de… Midi. Et nous roulons en tentant de ne pas nous emballer. Le chemin est majoritairement goudronné, tout le temps à l’ombre ou presque, la tentation est grande d’appuyer sur les pédales pour aller un peu plus vite. L’avantage de la vitesse, c’est le vent apparent, qui sèche la sueur même quand il fait 36 ou 37 °C comme ce jour-là. Heureusement mon modeste mais pratique 26*11 limite les conneries.
En deux temps et trois mouvements nous voilà déjà au seuil de Naurouze, celui qui marque le « sommet » du canal de midi. Jusqu’ici, depuis Toulouse, l’eau coulait à contresens de notre marche vers l’Atlantique. Désormais, elle ira dans le même sens que nous, vers la Méditerranée… Nous nous arrêtons boire un perrier, refaire de l’eau et deux mouvements plus tard, déjà Castelnaudary, je suis un peu surpris, il est à peine 15 heures, j’avais estimé que nous serions là plutôt vers 17 heures. Mais on fait, sans forcer, on a mis moins de trois heures pauses comprises pour faire 55 bornes. 55 bornes à dire bonjour à des Mamils qui ne daignent pas répondre concentrés qu’ils sont à rouler comme des Kom, à moins que ce soit par mépris de classe ? Bref, on fait trois emplettes au Spar du coin, on se cale à l’ombre pour bouffer un morceau de melon, du jambon du pain, on boit une bière et on repart vers Bram où l’on doit quitter le canal.











Ce morceau, largement abîmé par le chancre du platane va nous exposer à de longs moments en plein soleil et à un instant pur karma quand le type qui a joué de la sonnette sur son gravel électrique flambant neuf a fini au tas devant nous pour n’avoir su négocier un passage couvert de… graviers. Nous avons proposé de le soigner, il a juste accepté que nous rincions son coude amoché et ne l’avons plus revu, il a dû finir par la route amah. À Bram, nous nous jetons deux perriers dans le cornet, refaisons de l’eau, deux litres à chaque fois et nous prenons la voie verte qui nous engage vers le sud-ouest et Belvèze-du-Razès. C’est une ancienne voie ferrée, très agréable à rouler, la pente est très maîtrisée mais ça monte tout le temps. Arrivés à Belvèze que j’avais choisi comme point pour faire étape le premier soir, il n’est même pas 19 heures. On trouve un petit troquet sympa qui fait à manger, on boit deux bières et sur le coup de 20 heures on s’offre une courte sieste puis une douche fraîche au robinet d’un petit parc dans le village. Il est 20 h 30, on a fait 90 km, on a encore du jus, on a de l’eau, pourquoi ne pas continuer un peu jusqu’au coucher du soleil ? Suivant le vieil adage que ce qui est fait n’est plus à faire ?
Feu, nous nous engageons dans des chemins moins policés, çà monte et descend plus franchement, le soleil poursuit sa courbe vers l’autre côté du globe, l’arrière-pays limouxin a de faux airs de Toscane, enfin, de ce que j’en imagine puisque je n’y suis jamais allé. Nous passons à la Digne d’Aval, la nuit tombe, visons le stade pour passer la nuit mais il est hermétiquement fermé, poussons un peu plus loin avant de jeter les vélos dans une oliveraie un peu en retrait du chemin. Pour une courte et sale nuit à la belle étoile pendant laquelle j’ai eu tout le temps froid, ou presque, avec des moustiques par dizaines qui, sans nous piquer, nous marchaient sur la gueule. Et je pense qu’au village à un kilomètre de là, ils ont dû se demander pourquoi l’air était si chargé d’une étrange odeur citronnelle au petit matin. Mais nous étions déjà loin…
Loin et rentrés assez vite dans le dur. Sur le vélo après une très courte nuit nous décollons sur le coup de 5 heures, il ne fait pas frais mais c’est mieux qu’en fin d’après-midi hier. L’objectif du jour c’est d’arriver à Caudiès de Fenouillet, une cinquantaine de bornes avec un poil de dénivelé. Pour que ne nous reste plus qu’une grande ascension le lendemain matin dans la forêt de Boucheville pour rentrer dans le temps qui m’est imparti. Nous enchaînons donc les montées sèches et les descentes, sommes parfois contraints de pousser, parce que si la route est droite la pente est raide et que nos vélos chargés, autour de 25 kg, pèsent leur poids. Il fait vite chaud et nous arrivons à Esperaza, dans la vallée de l’Aude, sur le coup de neuf heures.






Parfait pour le petit déjeuner et refaire de l’eau. Parce que c’est là que les choses sérieuses allaient commencer, au moins en termes de dénivelé, et en termes de température. Je savais qu’on allait rouler dans la forêt dans un moment, mais il fallait y arriver… Nous voilà à l’assaut des hautes Corbières, nous visons Bugarach en rêvant qu’une soucoupe volante vienne nous transporter au sommet du col, là-bas. Le bitume fond déjà, les pourcentages ne sont pas là pour tenir la chandelle sur cette petite route qui s’enfonce dans le paysage jusqu’à se transformer, sur une espèce de plateau, en piste en bon état. Piste que nous quittons bientôt pour nous engager vers le sud, délaissant le pic aux extraterrestres, face au soleil en espérant bientôt pouvoir nous réfugier sous le couvert des arbres. À la Jasse du Bézu, nous trouvons de l’eau au cimetière. Il nous a fallu pousser un bon moment tant la pente est raide à cet endroit, mais le plein d’eau presque fraîche nous fait du bien. À ce rythme-là nous serons à Caudiès en milieu de journée, alors que j’avais prévu d’y être le soir. L’idée de dormir dans son lit dès ce soir prend de l’épaisseur…
Nous enquillons le chemin cathare, une longue montée sans grande difficulté et à l’ombre quoi doit nous rapprocher du col Saint-Louis. Là nous sommes doublés par un gars en semi-rigide qui fait son tour du samedi, il nous accompagnera en bavardant jusqu’au col. Là, j’avais prévu un extra, une douceur, au prix d’une petite remontée, un sentier inconnu mais qui faisait envie, sur la carte. Notre compagnon d’un moment nous avait fait part de ses doutes sur la roulabilité du sentier, il faisait trop chaud, il était midi, nous étions fatigués, pour le moins, de la matinée. Autant d’éléments propres à sage décision, celle de descendre à tombereau ouvert par la route jusqu’au village où nous espérions nous asseoir dans un petit resto pour faire un repas consistant. Las, de resto il n’y a plus, nous avons donc pillé le Vival, mangé sur la place du village à l’ombre du platane, tenté de dormir un brin avant de remonter en selle dans la fournaise pour rejoindre les Gorges de Saint-Jaume. Ça ne roule pas vraiment dans ces gorges, et quand ça roule c’est dangereux, mais c’est à l’ombre et nous avons pu faire une demi-heure de pause, les jambes dans le torrent glacé histoire de refroidir les moteurs. Il était près de 15 heures quand nous sortons des gorges à Fenouillet avec 800 mètres de dénivelé à prendre devant nous dans la forêt de Boucheville.














J’avoue (j’en ai bavé pas vous), là, ça a été long. Avec 150 kilomètres dans les pattes en un peu plus de 24 heures il nous a fallu pousser le vélo plus souvent qu’à notre tour dès que le pourcentage dépassait les 6 ou 7 %. Mais nous avons fini par déboucher au-dessus de Prats de Sournia sur le coup de 18 heures 15, quasi à court d’eau, il nous aura fallu près de trois litres pour cette ascension. Là, je prenais la décision de descendre par la route, n’ayant pas envie de nous lancer dans le GR cassant pour rejoindre Sournia. Nous avions le temps et la route permet d’économiser l’organisme. À Sournia, halte au bistrot du village sur le coup de 19 heures. Sandwiches et frites, bière. De quoi franchir les derniers kilomètres qui nous séparent de l’écurie. La pause est appréciée, nous faisons le plein d’eau fraîche, il a beau être 20 heures, il fait encore très chaud, et nous nous lançons, toujours sur la route, dans l’ascension du col des Auzines. Fidèle à son habitude quand il est fatigué, Nico accélère et me lâche dès le premier virage, je ne le reverrai que 35 minutes plus tard, au col. Là, nous délaissons la route pour une succession de pistes et de bout de sentiers, c’est facile, on joue maintenant à domicile, je dépose Nico à Rodes vers 21 heures et m’engage dans les gorges de la Guillère pour finir un peu avant 22 heures devant la maison. Rincé, dégueulasse pour le moins, mais content d’avoir bouclé ce périple en moins de 36 heures au lieu de 48.
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