Souvent quand vient la douleur l’esprit trouve des parades pour s’échapper et rendre ainsi l’effort [anagramme parfait d’offert] supportable. Souvent aussi, il nous accompagne dans nos activités favorites. Planquée le reste du temps derrière un rempart social, l’altérité mystique [mystical otherness] de chacun d’entre nous trouve à s’imposer quand nous venons sur son terrain favori. Elle peut alors prendre le contrôle de la situation. C’est ce qui s’est passé vendredi, en prélude au week-end, au cours d’une belle journée de printemps automne, alors que nous étions encore à provoquer l’hiver jusque dans ses recoins les plus glaciaux des flancs nord jalousement cachés sous les forêts.
Peine perdue, nous avons encore eu chaud sous la houlette de Miguel et de ses idées à la con qui le sont parfois bien autant que les miennes. C’est rassurant, je me sens du coup moins seul à proposer des âneries. Donc, si cela piquait bien un peu dans l’ombre du petit matin à Amélie-les-Bains (rime pauvre), nous sommes vite montés en température à l’assaut des premières rampes devant nous mener à la chapelle de San Engracia, premier point haut du jour.
Miguel avait convenu ensuite de nous mener tambour battant jusqu’à un cortal ruiné perdu sur la montagne, bergerie isolée pour Blanquette baba cool qui aurait peur du loup. À l’abordage de la descente de la chapelle, nous jouons avec les mares de soleil, il fait bon sur ce versant sud-est, la trace est sèche, les corps s’amusent dans la descente. Ça file vite parfois, d’autres moment sont plus compliqués techniquement, le sentier étroit avec un peu de gaz à droite ou à gauche, c’est comme un dimanche d’élections, tu dois passer mais sans tomber d’un côté ou de l’autre.
Jusqu’à cette rupture franche. Je roulais devant pour me poster et faire quelques photos quand le sentier s’est évanoui sous mes roues, brusquement. J’attendais une épingle sur la gauche, mais il n’y avait plus qu’un buisson en face de moi et un chantier à la place de la trace. Remettant le vélo dans le sens de la pente, je m’engageais pour rejoindre le sentier que je voyais briller un cinquantaine de mètres plus bas, bien en arrière sur la selle, visant avec soin les deux arbres plantés au milieu du bazar pour tenter de passer entre et me mettre ainsi en bonne position pour gagner l’orbite favorable à mon rétablissement sur la trace.
Ce n’était pas gagné, ce ne le fut pas. Je me sauvais, je ne sais trop comment, puis me postais, espiègle, derrière les arbres pour voir comment les autres allaient s’en sortir. Ils furent obligés, comme moi, de s’y reprendre à deux fois. À la fin de la sente bucolique bien que parfois engagée, ma mystical otherness avait bien profité. Et nous repartions vers le second point haut de la journée, remontant une rivière tout aussi bucolique dans le frais soleil des matins d’automne, l’eau scintillant entre les pierres, le sol gorgé des promesses du printemps futur et du retour dans les vasques esquivées par le relief des naked babacools que Jackman parfois débusque sans le vouloir.
La remontée vers le hameau de Montalba est longue, ça roule, pousse, porte et souffle. J’aurais bien aimé là, et pour la suite aussi, que ma mystical otherness veuille bien prendre une part du rhume qui m’obsède depuis plus de quinze jours maintenant et de ses tentaculaires percées vers mes bronches pour raviver l’asthme chronique qui m’étreint. Bref, soufflant comme un bœuf sous le joug, je finissais quand même de me hisser dans la roue de Jackman jusqu’au village posé sous le soleil de presque midi afin de rejoindre Miguel et Jérôme, fringant d’arrogance sur les montures toutes suspendues.
Le temps de manger, la dalle j’avais, nous repartions vers la crête montrée du doigt, là bas. C’est un bon indicateur de moral d’ailleurs de pouvoir visualiser l’endroit où tu dois parvenir, et de n’avoir même pas peur. Le mien de moral était éreinté par le souffle court, mais ma mystical otherness en voulait encore. Et là ce fût un poil long. Pas la première partie sur ce beau chemin dessiné avec respect sur le flanc de de la montagne, mais après ma gamelle. Dans une portion roulante, j’arrivais un peu vite dans un endroit un peu mal pavé, planqué derrière un petit virage à droite, jusqu’à me faire surprendre et me voir violemment jeté au bas de ma monture dépitée contre la pierre amoureuse.
La main en vrac, le gant déchiré, une douleur dans l’intérieur de la cuisse, je m’en sortais plutôt bien en pestant contre ma mystical otherness qui m’avait poussé à lâcher les freins et l’attention. La suite fut donc longue, j’essayais de rester au contact de Jake, je fredonnais un air célèbre, « hike your bike, Jake » pour me donner du cœur à l’ouvrage.
Comme un chat échaudé par l’eau chaude il me tardait de pouvoir me remettre dans le bon sens de la pente pour conjurer le mauvais sort. Las, il nous restait encore un bon bout à grimper, sur un sentier « qui n’est pas sur la carte » nous avait précisé Miguel avec gourmandise depuis le départ. Mon expérience sanglière m’a appris qu’un sentier ne figurant pas sur la carte se range uniquement en deux catégorie. Soit c’est une tuerie ultime, soit c’est un bordel sans nom.
Celui de Miguel rentrait dans cette deuxième catégorie, mais avec un grade modéré, on dira 2 sur 5. Manque de bol pour lui, il arrivait tard et j’avais mal. Miguel lui, comme nous le faisons tous dans ce genre de circonstances, nous promettait le grand soir et l’arrivée au sommet dans les 10 minutes. Au cortal visé, nous mangions encore un peu pour nous jeter dans la descente. Et là encore, chantier. Les gars qui ont construit le cheminement n’ont pas fait le ménage. Le mélange automnal de feuilles mortes et de pierres mobiles bien sagement planquées dessous est une tisane au goût piquant qu’il convient de boire à petite gorgée. Surtout quand on s’est boîté une heure avant !
J’ai donc roulé prudemment jusqu’à Can Felix, avant de pouvoir profiter pleinement du plaisir et laisser ma mystical otherness se satisfaire de ce que je lui mettaix dans les dents. L’affaire est engagée par endroit, c’est long, technique à très technique, mais peur à peu, j’ai surmonté l’appréhension. Pour arriver en bas rincé, comme d’hab, content mais rincé. Une main douloureuse en plus.
Belle journée, 24 km pour un peu plus de 1100 mètres de dénivelé (en données strava corrigée des variations égotiques), c’était vraiment une idéeàlacon Miguel !
2 Responses to Mystical otherness, au tableau !