Quand on roule fort, en montée ou en descente, enfin, quand on est le premier à ouvrir la trace, il est parfois donné d’entrer en collision avec la vie sauvage. Partis avec Damien et Vincent à la conquête de Prats Cabrera, sur le flanc Est du Canigou, c’est bien Damien qui vit trois ou quatre Izards lui partir sous le nez sur la trace. Et nous de nous contenter du récit qu’il en faisait.
Nous étions partis de bonne heure, et de bonne humeur, pour ne pas trop traîner dans la journée. Le camion garé au Col del Forn, nous nous mîmes au rythme pour aborder la piste du LLech, une bagatelle de presque 14 km pour environ 1000 m de D+ d’un seul bloc. Avec l’envie de ne pas trop traîner pour que Damien n’ait pas trop à nous attendre, non plus. La première partie est passée comme une lettre à la poste, la piste s’élève tranquillement, non sévèrement, jusqu’au Refuge de la Moline à 1200 m.
Nous en avons profité pour bavarder, préparer quelques trucs pour la communication d’intersaison. D’ailleurs, que j’arrive à parler est le signe indubitable, que cela ne montait pas trop fort. Nous fûmes là doublé par une bonne dizaine de voitures et un quad au pilote sans casque, cigarette au bec. L’occasion de repenser à ces conversations avec l’ONF, qui gère une partie du site, qui nous refusait l’emprunt pour une journée d’une série de sentiers… Parce que le passage d’un centaine de vélo allait porter atteinte à l’environnement. Laisse béton.
Après le dit refuge, à environ 1200 mètres d’altitude donc alors que nous devions aller flirter avec 1700, la piste et les choses se corsent et il a fallu passer en mode « je pense à rien mais faut penser à autre chose ». Un de ces moments où tu prépares ta semaine à venir, où tu repenses à tout ce que tu n’as pas fait la précédente, où tu renierais la terre entière parce que les cuisses chauffent, un vrai moment de solitude quand tu décroches peu à peu, le nez haletant dans la caillasse, des deux gus devant toi, que tu sais que chaque coup de pédale qu’ils font t’enfonce un peu plus, ce moment pénible où tu en as marre, ce moment heureux quand pour 200 mètres la pente s’inverse par miracle, ce moment ultime quand tu appuies quand même sur le levier du dérailleur pour voir si d’aventure un pignon plus grand n’aurait pas poussé en deux cent mètres… Mais au bout du compte à Prats Cabrera, nous étions là, tranquilles, pour manger un morceau, la bavante avalée en un peu moins de deux heures.
Restait à aller toucher le sommet de la sortie, par un poussage portage un peu pénible qui achève d’endolorir tes muscles. Les premiers hectomètres de la descente furent consacrés aux photos, histoire de faire un peu de stock pour plus tard et d’avoir quelques illustrations pour agrémenter cette histoire. Au large en balcon, vue sur la mer, sur une trace étroite et encombrée, puis, après un virage à gauche, l’entrée dans la forêt, pour du single quatre étoiles.
Là, tu claques les images à la pelle, cherchant à dénicher le rayon de soleil qui parvient à s’infiltrer entre les troncs pour venir caresser de sa chaleur la terre meuble et humide. Le temps de m’en coller une petite dans un pierrier en faisant le malin (note pour plus tard, ne jamais faire le malin dans un pierrier), puis une autre à cause d’une branche pas vue et venue me fouetter en plein visage, l’heure était venue de la décision.
Nous n’étions pas en avance sur l’horaire. Damien nous proposait un essai par un sentier qui me laissait dubitatif, quand à son issue, et donc notre destinée. Ça commençait bien, même si, comme le reste, ce n’était pas roulé du tout, puis il a fallu pousser, puis porter le vélo. J’avoue, j’ai pesté en fermant la trace.
Pas bien long cette grimpette, à peine 100 mètres de d+, mais juste ce qu’il fallait pour finir de m’achever avec un départ raide de chez pentu qui fait naître le spectre d’une tannée sévère, simplement parce que tu n’as pas de GPS, que tu ne sais pas où tu es dans la pente, et que parfois le sentier se perd, alangui sous les premlères feuilles de l’automne. Et là encore tu as le temps de penser à toutes les sorties de l’année que tu as laissé tombé parce que que t’avais la flemme et de te dire que c’est aujourd’hui qu’elles manquent. J’étais déjà limite frais dans la première partie de la descente, qu’allait donner la suite ?
Une fois en haut, au col de Teixo, qui n’a pas du voir passer beaucoup de vélos dans sa vie, nous avons mangé rapido, fait une photo, puis basculé dans la pente. Ce sentier jamais roulé pourrait être magnifique s’il l’était un peu plus. Encombré de gros cailloux planqués sous les feuilles, ou bien visibles mais branlants sous le soleil, c’était bien difficile, la fatigue en plus, ça devenait mission impossible pour moi. Les jambes ne voulaient plus fléchir, la vitesse ne voulait plus revenir, les pédales ne voulaient plus clipser… La loose.
Il fallait les ailes de l’aigle catalan pour se sortir de ces chantiers ! Mais c’était beau. Une fois en bas, nous sommes remontés jusqu’à la piste, c’était trop tard pour de nouvelles aventures, par un court portage bien pêchu encore. Avant de dévaler la voie jusqu’au camion. C’était du vélo de montagne quoi, avec cette dose d’imprévu et d’aventure qui fait que nous y retournerons encore, dès que possible. Histoire d’ici là d’avoir pu travailler le foncier et d’être plus à l’aise pour profiter des lacets furieux du GR36.
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Je dédie cette histoire à Albin, qui aurait eu 67 ans ce jour là. Et à Mathilde, partie bien trop tôt, en espérant que ce dernier exil t’offre autant d’aventures que les voyages en orient extrême que tu affectionnais tant. Avec mes pensées.
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