Torgnole à l’Estanyol

Partir à l’Estanyol et revenir défait, penaud, éreinté. Il fallait bien cela pour marquer cette première dans nos histoires personnelles. Laissez-moi vous la conter. L’idée c’était d’aller bivouaquer en montagne avec un groupe de copains triés sur le volet pour leur bonne humeur et leur capacité à supporter mes lubies. La lubie du jour c’était de partir d’Ille sur Têt et de rallier la montagne à vélo. Question de bilan carbone toussa. En gros, la promenade s’étirait sur deux jours avec un premier jour quasi uniquement consacré à la montée et un deuxième en grande partie consacré à la descente, par notamment un des plus beaux sentiers du département (si si je suis objectif). J’avais étudié la trace, sur le papier tout était parfait, il n’y avait plus qu’à.

Un samedi matin de juin nous nous retrouvons donc avec les zamis (Didier, Loïc, François, Giorgio, Marc, Nico, Peter, Philippe) au bistrot le Platane pour un café avant de courir après notre destin. C’était tôt, sur le coup d’un mi-juin qui annonce les matins d’été sans buée. La météo promettait une journée chaude mais rien d’anormal, a priori, nos organismes de sportifs de bas niveau étaient en mesure d’affronter la journée. Très vite pourtant, il n’était même pas 9 heures, il nous a fallu nous rendre à l’évidence. L’affaire allait être compliquée à gérer. Arrivés au prieuré de Serrabonne, nous nous sommes tous réfugiés à l’ombre du bâtiment. Signe qui ne trompe pas.

La suite est chouette. La piste se mue en sentiers qui montent et descendent. C’est plaisant à rouler, il faut pousser ou porter un peu parfois parce que les vélos et les sacs sont lourds, mais rien d’affolant. À Boule d’Amont, nous récupérons la piste qui doit nous conduire jusqu’au col de Palomère. C’est là que Didier est entré dans le dur. Bon, pour tout dire, c’était déjà difficile avant, il n’aime pas la chaleur, mais après le village, son moral s’est dégradé inexorablement, kilomètre après kilomètre. Et cette piste en compte quelques-uns de kilomètres ! Nous sommes arrivés haletant, trempés, jusqu’au village de La Bastide pour être sauvés par l’eau. Au bord de la route trône en effet un lavoir dans lequel nous nous sommes littéralement jetés pour faire refroidir les moteurs. Et nous avons pu aussi refaire de l’eau, nous poser à l’ombre, manger un morceau et roupiller un peu pour ceux qui voulaient.

Puis il a fallu repartir. Terrible. Plus de deux ou trois kilomètres sur la route et son goudron surchauffé, pas un brin d’air à l’horizon, les insectes qui collent. Cela a suffi à achever Didier. Quand il a rejoint le col il a pris la décision de renoncer, de quitter le navire en laissant les rats dessus et de retourner chercher sa voiture à Ille par la route. Une jolie balade d’une bonne trentaine de kilomètres. Quand même. Il a probablement mis autant de temps que nous à terminer.

C’est là aussi que nous avons raboté le plan initial qui était de monter jusqu’à la tour de Batère pour aller basculer au petit col qui donne accès à la très jolie descente sur les mines de la Pinouse. Compte tenu de l’état des troupes, de l’heure, de nos besoins en eau (il n’y avait plus de point d’eau avant le refuge) nous avons choisi de prendre la voie habituelle. Monter un moment sur la large piste pour aller chercher l’ancienne voie de chemin de fer qui servait à sortir le minerai de fer du massif, depuis les mines des Ménérots et de la Pinouse. C’était plus sage. Et à l’ombre. J’ai chopé des crampes dans le petit portage un peu raide juste avant les mines et nous étions tous un peu cramés.

Aux mines, le temps de se reposer un peu, il ne nous restait plus qu’à nous laisser glisser dans le trou puis reprendre la dernière ascension pour atteindre le refuge où nous attendaient bien cachés les provisions que nous avions apportées dans la semaine (vin, pomme de terre, bière) histoire de ripailler. J’ai fait le dernier kilomètre en poussant le vélo, J’étais moi aussi au bout du rouleau et je n’étais pas seul ! Au refuge, nous avons pu nous rafraîchir à la source et faire une bombance à la hauteur de nos souffrances avant de plonger dans un sommeil pas forcément réparateur selon le voisinage dont on avait hérité sur le bas flanc (moi, malin, j’étais dehors dans ma tente).

Le lendemain, le corps encore marqué par les efforts et les libations de la veille, il a fallu se cogner le balcon du Canigó. Et même si nous avons décollé de bonne heure, la chaleur est vite devenue aussi désagréable que la veille. Mais la suite allait être magique avec le beau GR36 pour revenir sur Baillestavy où nous avions réservé une (longue) table pour les alentours de midi (erreur funeste pour la suite, mais bien agréable !). Une fois le groupe reconstitué au débouché du balcon et ses longs poussages portages, nous filâmes donc, heureux d’en avoir fini avec le plus dur, chassé par les mouches excitées, les cuisses endolories, pour nous jeter comme des morts de faim dans la descente.

Ça a filé rapido dans les épingles malgré la fatigue. Mais en arrivant à la « bifurque qu’il ne faut surtout pas manquer » j’ai eu un pressentiment. Les gonzes qui roulaient devant comme des avions n’avait pas dû la voir sinon ils nous auraient attendus. Quoi qu’il en soit, j’ai attendu ceux qui roulaient derrière et nous avons glissé dans la trace avec prudence pour ménager les plus fatigués d’entre nous. Arrivés en bas, je me suis rendu compte que mon pressentiment était juste, ils avaient bien manqué la bifurque qu’il faut pas rater et avaient rallié le restau par une mauvaise piste et la route, gâchant au bas mot 500 mètres de dénivelé négatif de toute beauté durant lesquels s’enchaînent tout ce que le coin a à offrir, longs bouts droits dans la forêt, petits passages techniques compliqués à souhait, ruptures de pente, sentes serpentant dans la garrigue, morceaux de balcons exposés, épingles de toutes sortes et de tout âge, bref, un bouquet de régalade qui convoque tout le bagage des vététiste des Pyrénées-Orientales.

À l’ombre des muriers platanes de la place de Bailelstavy le groupe s’est reformé pour le casse-croûte et les rafraîchissements bienvenus (et mérité). Nous avons passé un bon moment à nous revivre en mots les dernières 24 heures mais la suite était écrite. Nous devions, initialement, remonter un mauvais single proie des sangliers pour aller chercher le joli sentier qui amène vers Joch. Mais comme la veille, nous avons pris la sage décision de couper court à cause de la chaleur.

Rentrant par route, nous étouffions à chaque endroit où la pierre nue des falaises renvoyait le rayonnement sur nos organismes fatigués. Ce jour là, comme la veille, on a pris une sacré torgnole.

 

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