Il faut parfois saisir les occasions à ne pas manquer. Depuis une semaine, la météo annonce l’offensive de l’hiver, la neige même à basse altitude dans notre contrée. Cette neige qui va nous interdire les grands espaces de la haute montagne. Au moins à vélo. Alors avant de rouler dans la plaine pour quelques semaines, nous avons été gourmands pour nous offrir hier une belle sortie sur la frontière franco-espagnole, avec les amis.
Un petit lift jusqu’au col d’Ares, on est quand même en semaine c’est aussi une journée lors de laquelle il faudra bosser, et nous voilà à 10 heures, enquillant notre petit équipage de quatre riders sur le chemin des crêtes. Diable, il fait beau, vite chaud quand le sentier se met à monter, la vue est souvent panoramique. On loue l’été indien, le réchauffement climatique, le temps que nous avons pu arracher à nos boulots respectifs. Et puis là bas. Au loin, les sommets, le Canigou et la masse puissante de son versant sud, la pyramide du Costabonne que je n’aurai pas eu le temps d’aller chercher cette année. Les autres lieux déjà parcourus et aimés, Pla Guillem, les Esquerdes qui dressent leurs dents de pierre vers l’azur imperturbable.
Et nous avançons sur ce bout presque droit qui suit la crête donc. Je peine dans le raide, c’est droit dans le pentu, on roule sur l’herbe, tu laisses une énergie folle dans la montée et ça freine quand la pente s’inverse. La trace que m’avait fourni l’ami Oscar promettait de mettre fin à la difficulté en nous laissant glisser sur une piste en léger contrebas. Encore fallait-il trouver le sentier. Encore un truc qu’on a terminé en freeride dans les bois à s’accrocher aux branches parfois pour ne pas finir en vrac. Une fois sur la piste, nous sommes vite revenus sur la crête pour profiter de nouveau de la vision panoramique, plus près du Costabonne. Nous regardions plus avant et avec envie les quelques kilomètres qui nous restait à parcourir jusqu’au départ d’une des deux descentes du jour. Très vite, après avoir traversé un troupeau de vaches placides profitant du rayonnement du soleil pour brouter en toute décontraction, nous avons rejoint les deux silhouettes aperçues depuis un moment.
Des silhouettes qui n’avançaient pas vite là bas, nous voyions parfois les bâtons de marche étinceler dans le soleil. C’est dans une montée que nous les avons doublés, finalement, sur cette piste herbeuse aux ornières maladroitement dessinées. Deux gaillards, certainement plus de cent soixante ans à eux deux, en promenade depuis le col d’Ares comme nous. « Poc a Poc. » Un brin de conversation à la barrière. Nous sommes un peu scotchés de les voir là, à 10 kilomètres de toute route ou presque, heureux de la solitude, marchant à petit pas. Un brin de conversation, ils nous disent ne pas être capables de faire ce que nous faisons en vélo. Mais qu’ils ont fait notre parcours à ski. « Quand on pouvait encore. Aujourd’hui, on se contente de ce qu’on peut, de ce qu’on a. Poc a Poc. » Mélancolie à fleur de peau chez le plus costaud des deux gaillards. Poc a poc.
Bon sang, si ça se trouve nous ne serons pas capables de nous lancer dans cette ballade quand nous aurons atteint leur âge. Nous repartons, filant à toute vitesse dans la descente, grimpant encore quelques bouts raides dré dans le pentu, finissons par nous arrêter sur une épaule sympa pour manger un morceau. Les graines d’O’cBon sélectionnées par Loïc font fureur. Puis c’est l’heure. Nous aimerions aussi aller Poc a Poc. Nous voilà en haut de la première descente, nous avons gaspillé pas loin de trois heures pour arriver là, entre petite vitesse, grand doucement, photos pour l’histoire et bavardages. L’occasion pour Simon de reconnaître en Jérôme le médecin qui a recousu son fiston, victime d’une mauvaise chute à vélo. Le monde est petit. Poc a poc.
Bref, on s’est engouffré la dedans comme d’habitude, comme des morts de faim. La première partie dans les bois est rapide et belle. Le soleil commençait d’entrer dans la forêt, on le voyait chatouiller la cime des arbres en contrebas. Passé un mauvais bout dans les pierriers glissants, nous reprenions la cavalcade entre les sapins. Tellement bien et tellement vite que nous avons raté l’embranchement. Et fait un long bout sur la piste au lieu de rester sur le single. Nous roulions vite, il faisait froid, mais quand nous entrions dans les zones inondées par le soleil, nous prenions dans la face une bouffée de chaleur, exacte réplique de celles du printemps, qui vous enveloppe, vous charge les narines d’odeur d’humus exalté.
Nous avons fini par trouver le single suivant, le beau morceau de cette descente, avec des épingles impossibles – n’est-ce pas Simon ? – quelques glissades non-contrôlées, une crevaison. Sous les arbres maintenant dépouillés de leurs feuilles nous apercevions le ciel, bleu.
Après avoir franchi un ruisseau, nous avons terminé par un single champêtre, se faufilant entre les parcelles de prairies pour finir à la Forge de la Preste. Hameau. Une grosse poignée de maisons et un « hôtel de la montagne » à vendre. Poc a poc, l’heure avait gagné la partie. Nous laissons de côté le col du miracle pour un prochain jour faste et rallions Prats-de-Mollo par la route, à faire la course comme des idiots sur le bitume.
Pour apprendre au final, après avoir été aspergés de bière par un barman maladroit, que le renouveau du Picon-Bière passera par les anglais. Vivement le printemps !
Laisser un commentaire